Textes de balayeurs

Ridibule - Philox

Puisque la langue nous réinventait en permanence, nous avions décidé de ne plus dire : ridicule. Nous disions : ridibule. C’était plus joli. Et ainsi, nous n’aurions vraiment plus peur du ridibule. Le ridibule, nous pouvions vraiment le sentir. Tant il est vrai que le ridibule ne pue pas.
De la même façon, nous aimions être embullés. C’était un grand plaisir d’être choisi, puis totalement enveloppé par la bulle de l’autre. Nous ne disions plus: bravo les soignants, bravo les pompiers, bravo les ambulanciers. Nous disions : bravo les embulleurs!
Et quelquefois, soit par foi, soit par raison, nous devenions nous-mêmes embulleurs. Nous prenions un papillon qui passait comme ça, innocent, sifflotant! Et oups… Il avait l’air encore plus innocent qu’avant. Et à y regarder de plus près, le monde lui-même n’était plus qu’un embullage permanent.
Nous vivions dans une communauté de bulle générale comme jamais l’humanité n’avait seulement pu le supposer. Bien-sûr, c’était fragile, on ne peut plus! A chaque milli-instant, la bulle de l’autre pouvait exploser et ainsi mettre en péril, la bulle générale !
Certains disaient qu’il fallait revenir à chacun sa bulle. Et interdiction d’un seul regard sur la bulle de l’autre. Certains proposaient même des lunettes noires protégeant du regard des autres. Mais qui pouvait donc encore les croire ? C’était totalement ridibule !

Le virus - Philox

J’ai attrapé le virus
Le virus de la chanson
La vraie, la bonne, la mère qui brille de tous ses vers
Son vrai bon nombre de pieds, et puis son hémistiche
Bien placé au milieu tout comme la moustache.

J’ai attrapé le virus
Le virus des bouquins
Les poches, les 10/18, mais pas ceux de La Pléiade
Ceux qui vous tirent l’oreille, vous prennent par la manche
Et vous emmènent loin, plus loin qu’ le bout de la nuit.

J’ai attrapé le virus
Le virus des jardins
Les fleuris, les ouvriers ou même les familiaux
Je pourrais même aimer les grands vergers du Roi
S’il n’avait trop souillé le Pays de nos droits.

J’ai attrapé le virus
Le virus des bistrots
Les troquets, les beaux bars avec ses Happy Hours
Ses bourrés, ses pochtrons ou même le café de Flore
C’est la démocratie qui brille de tous ses ors.

J’ai attrapé le virus
Le virus des flâneurs
Je flâne au bout de ma rue, au bout de mon impasse
C’est la vraie rêverie du promeneur qui passe
C’est la mélancolie qui sifflote sur la place.

J’ai attrapé le virus
L’virus d’la révolution
Révolution de la terre, le jour de la Saint Sylvestre
Celle du Néolithique ne me laisse pas en reste
Mais mon coco, celle à venir que j’entends
C’est celle en sortie du confinement…

L’ennemi invisible - Philox

C’était cette fois-ci, c’était vraiment la drôle de guerre. On nous l’avait tellement promise. L’ennemi était invisible. L’ennemi était intérieur. L’ennemi était en nous… bref biblique.
Nous devions nous épier puisque c’était en nous, au sein de nous, au cœur de nous, que se trouvait le malin. Je devais me fouiller en permanence, puisque faisant partie du nous ; même asymptomatique, j’étais potentiellement porteur de la bombe maléfique.
J’épiais ce jeu qui manœuvrait au fond de moi ; ce « je » qui finalement ne s’avérait autre qu’un autre qui venait dévaster la conjoncture de mon moi. Cet autre qui avait toujours dormi là, au fond de mon permafrost, avant que celui-ci ne disparaisse.
Tous les animaux préhistoriques ne remonteraient-ils donc pas à la surface ? Tous les vieux microbes et les vieux dinosaures allaient débouler d’un instant à l’autre dans notre bonne vieille ville? L’épisode béni du confinement à rallonges multiples allait définitivement nous paraître comme un paradis perdu…
Nous nous souviendrions alors combien l’ennui et la platitude de nos tables numériques nous avaient ravagés dans des euphories perpétuelles sans cesse revigorées au fond de solitudes tellement épanouies dans nos sociabilités virtuelles. Le pergélisol n’en revenait pas et avait finalement bel et bien décidé de s’enfuir…

Consolation - Philox

Nous consoler d’un monde qui penche affreusement du côté du vide abyssal. Cette longue logorrhée qui nous habitait depuis si longtemps avait fini par prendre tout l’espace intérieur. Et si nous la calmions avec les moyens du bord, à la manière d’un enfant à qui l’on dit qu’il n’aura jamais raison…
Notre entêtement à ne jamais nous résoudre du côté du grand brouhaha poisseux nous amenait à nous poster sur les côtés d’une langue entièrement refaite au lait de show d’un nouveau lexique qui nous faisait tout avaler de la vieille terreur néolibérale. Et nous mesurions aisément le grand vide apporté par cette langue-là !
De la démocrasseuse américaine à la démocrature chinoise, il n’y avait qu’un pas que nous ne nous étions pas même vus franchir. Tout semblait s’harmoniser au mieux finalement, là où l’injure twittée fait partie du quotidien et, là où le médecin d’un mal éminent ne ressemblant à aucun autre connu, va mourir en prison.
Nous rongions compulsivement notre frein pour ne pas hurler. Ça n’était vraiment pas le moment. Et puis, nous étions tellement prêts au port obligatoire de ces masques qui ressemblent à s’y méprendre à des baillons que l’idée même d’un cri, quel qu’il soit, s’évaporait aussi vite que nos maigres espoirs. Nous devenions donc inconsolables. Les médecins disaient dépressifs. Mais les médecins n’ont pas raison en tout…

Questions ouvertes à nos grands dominants - Philox

Qu’ai-je fait pour que depuis si longtemps vous m’en vouliez autant ? Dois-je mettre mon masque et mes gants afin que j’apparaisse tel que vous l’imaginez ? Un loup ? Un autre ? Un monstre ? Un con ?
Dois-je monter dans ma chambre et méditer ma peine ? Est-elle exactement fidèlement adéquate à celle que vous portez ? Dois-je me confiner pour mâcher ma peine comme d’autres mâchent leurs morts afin de vraiment les digérer ?
Comment dois-je goûter la joie suprême des renoncements à nos premières joies : travail, transport, sport, spectacle, religion, flânerie, balade, embrassade, fête ?
Vous ai-je attristé pour que vous vouliez autant vous éloigner ? Est-ce qu’un jour, vous vous retournerez ? Est-ce qu’un jour, vous serez guéri ? Nous regarderez-vous alors ? Vraiment ?

Ptataz

Apporter un éclairage transversal balayant le spectre de l'arc en ciel, Philox m'a parlé de la balayette à ciel, je suis devenu Ptataz.
Mettre en main, en mots quelques rameaux. J'ai ramé sur la question avec peine, un pain pour sa peine, quelle est-elle sans exercices ? Balayons d'un retour de balayette ce qu'en rien un mieux résiderait dans ce qui précède plutôt que dans ce qui suit, rien n'est mieux ni pire, ni bon ni mauvais que ce geste de va et vient qui m'inspire et balaie pour sentir la liberté dans le mouvement de l'exercer ; balançant un bien avec l'autre, notre volonté partout peut se ramasser. De mise en lumière des mots du baladin balayeur, balayant du présent pressant, éternel et charnel le chenil en pagaïe, d'un désordre providentiel élevé vers le ciel des idées. Les particules en suspension ne se voient à leur mouvement brownien qu'à la mesure de la charge de poussière que l'espace contient et aux photons qui s'y accrochent et s'y frottent.
Ramon picard, breton balan, le balai du ramoneur d'un rameau de Genêt nettoyons léan pour se donner de l'élan et à cette musique des mots je commence à prendre goût, je nais au Pré Martinet.

Maxence

C'est l'automne

Le bleu de tes mots, le soleil
Le bleu de la mer et du ciel
Le bleu de tes yeux
Qui sont partis pour d'autres cieux

Voilà c'est l'automne
Je suis spleen, tu m'étonnes
Et c'est pour ça que j'entonne
Ce chant monotone

ô octobre, septembre
Ces ocres, ces ambres
Ah les jolies couleurs
Qui consolent mon cœur

Damien

"ISBORNO"
Un jour peut-être, je retournerai sur Isborno !
C'est un endroit où il fait calme,
C'est un endroit où il fait beau.
Isborno, c'est mon sésame !
Isborno, c'est mon fardeau !
Isborno, mes états d'âme,
Mais Isborno n'est pas qu'un mot.

Isborno à l'envers,
C'est un iceberg dans l'océan,
Une parole toujours sincère,
Et un regard bienveillant.
On a tous notre Isborno,
Plus ou moins submergé,
Dans un coin de nos cerveaux,
Dans un endroit tenu secret.

Isborno pour moi,
C'est une île a l'horizon,
Un phare tenu bien droit,
Qui me donne la direction.
Longtemps naufragé,
Avant de m'échouer sur ces côtes,
Isborno m'a rassuré,
Et sans trop juger mes fautes.

Isborno, t'es dans ma tête,
Isborno, j't'ai dans la peau.
Georges avait Jeannette,
Et Juliette son Roméo.
Je vais pas réécrire,
Ce que certains font mieux que moi,
Je préfère découvrir,
Notre destin ici bas.

Isborno m'a recueilli,
Quand j'allais me noyer;
Et c'est moi qu'elle a choisi,
Au milieu de tous ces déchets.
Des déchets organiques,
De résidus à la surface,
De ce continent plastique,
Et de ces hommes à la ramasse.

De ces hommes, parlons en,
Isborno a déjà donné.
Tous une bande de charlatans,
Attirés par ces vallées.
De ses terres encore sauvages,
De sentiments indomptés;
De ses côtes, de son rivage,
Que chacun voudrait dominer.

Isborno est fatiguée,
Isborno en a marre,
Vous l'avez trop usée,
Et je vous le fait savoir.
À force de refouler,
Ce qui se passe au fond de vous,
De vos embruns noyés,
Isborno en est t'a bout (Tabou).

Il suffirait, dit elle,
De rassembler nos pensées,
Comme une balayette a ciel,
Par une nuit étoilée ;
Dans une poussière infinie,
À l'aube de nos vies ;
Le temps te dira
À quel point je tiens à toi.

Framboise

À Édith ma fille, à Julien et aux deux inconnus qui, avec délice et malice, barbotent encore dans le chaud liquide des méandres de la vie

C’est en août à la fin de l’été
Sans encore poindre le bout de vot’ nez,
Qu’d’ vos parents vous avez boul’versé
La voie, la vie, la destinée.

L’amour a planté ses banderilles
Et puis tout est parti en vrille
Vous n’êtes pas adeptes de pacotille
Vous n’faites pas dans la broutille !

Ce n’est pas un mais deux marmots
Panier de cerises sur le gâteau
Qui ,dans les pas de vos chevaux
Deviendront très vite vos héros !

Est-ce qu’ils feront de la musique
A leur père donn’ront la réplique ?
D’la basse, auront-ils la technique ?
Sur scène, au trac, f’ront-ils la nique ?

Préfèr’ront-ils les chapiteaux ?
L’art de la jongle, du diabolo ?
Le martèlement des sabots
Dans les prés, l’eau fraîche des ruisseaux ?

Serez-vous deux filles, deux garçons ?
L’un espiègle et l’autre polisson
A vous la vie, ses partitions
J’vous imagine, des exceptions.

Néné

Testamour.

Quel monde te laisserons-nous, toi, enfant d'aujourd'hui ?
Au delà d'amour, que t'aurais-je appris, transmis ?
Tisser du lien avec quelqu'un, lui tendre la main, et tenter de comprendre...
ce qui peut faire du bien,
T'accompagner, croiser, partager nos chemins,
Donner, recevoir, construire nos lendemains...
Engranger souvenirs qui dansent jusqu'au matin !
Pour qu'enfin chante dans nos verres le bon vin !

  Un mot pour le dire !
  Un mot pour le faire !
  Quand dire c'est faire !
  Flamme va bien !

Le progrès nous tiraille !
Détriment nature aïe !
Aux écrans de nos frontières...
Ca mitraille! De mon néant,
Au droit d' vote suis réduit impuissant,
Et que voudrais-je pour les enfants ?
Moi et les potes, saurons-nous nous mettre en mouvement ?
Quelles questions soulever, lever de nos pensées ?
Je ne sais mais toi et moi et moi et toi ensemble,
Qui sait? Pourrait-on se faire un plus beau présent ?

MéloDicte

Ici, assise dans le brouillard, embrouillée, pire que dans le noir,
Indécise mais lucide, je sais bien ce qui se passe,
Ces tracas, ces déboires, tout ça me dépasse.
Dans la lutte, je persiste mais les progrès semblent dérisoires.

D’la surface au tréfonds, c'est limpide, l'acide s’immisce
Dans mon sang, vers les gens, partout il se répand.
Les songes cèdent et les souvenirs rongent, à mes dépens je l'apprends
La résilience s'esquive alors que les vices eux sont plus que des esquisses.

Je ressens les errances que la corrosion essaime
Les prémisses des abysses qui se déguisent
Dans les couleurs du passé, les clichés, les portraits et les essais ; elle sème
Les mots par lesquels ma vision se révèle et s'aiguise.

En effet, tous les faits font exprès de me rappeler cette lancinante vérité
Ainsi si souvent sciemment encerclée : je me sens chèrement déroutée.
Les fantômes me collent de ci près, je vois pas comment leur échapper
Rescapée, écharpée par ses peurs en pensées puissamment martelées

Sous leurs ombres s'accumulent les décombres
Déconstruire, reconstruire et trouver ma place
Faudrait forcer l’audace pour surmonter l’impasse
Se débarrasser des sujets mal classés qui m’encombrent.